Mgr Fulgence Muteba, évêque de Kilwa-Kasenga : « Evitons de mettre le feu aux poudres au Congo »

Jeudi 5 mai 2016 - 11:45
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Monseigneur Fulgence Muteba, évêque du diocèse de Kilwa-Kasenga, dans l’ex-Katanga, se bat pour la protection de la nature et pour éviter qu’une colère meurtrière explose au Congo. C’est un personnage hors normes. Un de ces hommes en soutane qui font l’unanimité pour leur engagement auprès de leur population. Un homme qui n’a jamais hésité à condamner toutes les dérives qu’a pu connaître son diocèse piqué dans le Katanga rural, des exactions des Maï-Maï ou des Kata Katanga à l’exploitation du bois noble par certains intérêts étrangers. Alors que Kinshasa cherche à faire couler Moïse Katumbi en le présentant comme tête de file d’un mouvement insurrectionnel dans l’ex-province du Katanga, l’évêque de Kilwa-Kasenga tire la sonnette d’alarme d’une manœuvre qui risque d’embraser toute la République.

 

Monseigneur, votre région du nord-Katanga était réputée comme la base des rebelles Maï-Maï et des Kata Katanga (pro-sécession de la province). Qu’en est-il aujourd’hui?

« Il n’y a plus rien. Ils ne se sont pas tous évaporés dans la nature. Mais la plupart des commanditaires de ces troupes ont abandonné leur combat et, du même coup, ont abandonné leurs hommes qui se sont retrouvés bien démunis. Ces menaces ne sont plus d’actualité aujourd’hui ».

 

Certains affirment pourtant que des rebelles sont installés chez vous. Des hommes qui seraient armés par l’ex-gouverneur Moïse Katumbi?

«Je suis au courant de ces bruits. C’est du grand n’importe quoi. Il n’y a rien. J’ai des prêtres qui circulent sur tout le territoire et je veux vous dire que nous serions au courant si quelque chose se tramait. Je vous le dis en toute sincérité et la main sur le cœur, il n’y a ni rebelles, ni camp d’entraînement. Ce sont des bruits dangereux que font courir certains dignitaires du pouvoir pour nuire à leur adversaire Qui veut noyer son chien, l’accuse de rage».

 

Ne craignez-vous pas que ces rumeurs rallume le feu chez certains?

«La pauvre population de mon diocèse de Kilwa-Kasenga est fatiguée de tous ces bruits. Elle ne cherche qu’à survivre. Et vous savez que j’ai toujours été prompt à dénoncer tout ce qui est illégal ou inacceptable, s’il devait y avoir des camps d’entraînement sur mon diocèse je serais le premier à monter au créneau. Je le répète, il n’y a rien de tout cela. Ceux qui veulent voir de leurs propres yeux sont les bienvenus.»

 

Comment une population rurale, éloignée de tout, vit-elle la situation actuelle du Congo?

«Vous avez raison, nous sommes a priori loin de toute l’agitation et nous n’avons que es médias officiels pour nous Informer, ce qui n’est pas l’idéal, vous en conviendrez, pour se faire une idée exacte de ce qui se passe à travers le pays. En même temps, nous disposons aujourd’hui de routes- qui nous permettent de voyager assez facilement et, surtout, nous sommes aussi rattrapés par les nouvelles technologies de la communication et de l’information. Des smartphones arrivent dans nos villages. Certains de nos villageois sont sur Facebook et suivent l’actualité on-line. C’est une véritable révolution, un boum communicationnel. Il ne faut pas perdre de vue que cette population de la campagne, de l’intérieur, comme on dit ici, est aussi la plus pauvre et donc celle qui est susceptible de se radicaliser rapidement. Ici, dans mon diocèse, on suit donc de très près finalement ce qui se passe à Lubumbashi.»

 

On vous connaît aussi pour votre combat pour la protection de la nature?

«Je n’abandonne pas ce combat. Ce qui se passe chez nous est catastrophique. Il faut respecter t se battre pour notre maison commune a dit en substance le pape François. Mon combat est donc en phase avec l’appel du pape. Les Chinois ont fait de l’excellent travail sur nos routes. Depuis, ils se sont mis à exploiter ce qu’on appelle ici le mukula (siorte de padouk). Un bois naturellement rouge qui vaut une fortune dans leur pays. J’avais poussé un cri d’alarme en 2013 pour qu’on fasse cesser cette exploitation anarchique. Le gouverneur Katumbi m’avait entendu et avait fait fuir ces Chinois. Aujourd’hui, en accord avec le clan présidentiel, ils sont de retour. En général, ils n’exploitent pas directement mais passent par des petits entrepreneurs locaux qu’ils paient un peu. Les bois sont ensuite ramenés en Chine sans qu’ils ne s’acquittent de la moindre taxe. Il y a aujourd’hui, une exploitation semi-industrielle par endroit. C’est un vrai massacre pour la nature. Pire, ils agissent au sein même du parc national de Kundelungu, un site pourtant officiellement protégé C’est un crime. Nous, du coté ‘du diocèse, nous essayons de former la population au respect et à la protection de la nature. Mais certains n’entendent que le bruit de l’argent et du profit immédiat.»

Par Hubert LECLERCQ

(Dernière Heure)/LP