La soustraction des politiques de la compétence de la Cour des comptes est un obstacle à son contrôle et porte atteinte de manière générale au contrôle sur la gestion des finances et des biens publics. Cette observation fait partie de tant d'autres contenues dans le rapport annuel 2020-2021 de la Cour des comptes remis au président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi, le 9 mars 2023.
Dans sa mercuriale au cours de l'audience solennelle de la rentrée judiciaire durant laquelle ce rapport a été remis au chef de l'Etat, le procureur général près la Cour des comptes, Salomon Tudieshe, est largement revenu là-dessus. Il a affirmé que c'est au niveau des politiques que le maniement illégal des deniers publics est notoire.
Salomon Tudieshe précise que les personnes soustraites de la compétence de la Cour des comptes, conformément à l'article 32 de la loi organique sur cette juridiction sont "les responsables du Parlement, des assemblées provinciales et des organes délibérants des entités territoriales décentralisées, les membres du gouvernement central et des gouvernements provinciaux, ainsi que les membres des exécutifs des entités territoriales décentralisées ".
Vivement la révision de ces dispositions
Le PG regrette que cette disposition qui soustrait les politiques de la compétence de la Cour des comptes soit reprise dans la loi numéro 11/011 du 13 juillet 2011 relatives aux finances publiques.
Tout en plaidant pour la révision de ces textes, le PG Salomon Tudieshe estime qu'il résulte de ces dispositions légales que les principaux gestionnaires de la chose publique sont exclus de la compétence de la Cour des comptes alors qu'ils sont des responsables réels des fautes de gestion mises à charge des comptables publics et des contrôleurs budgétaires qui sont souvent réduits à enregistrer des opérations dont ils n'ont pas le contrôle.
Il a cependant reconnu qu'il est prévu la mise en œuvre de la responsabilité des ordonnateurs des institutions politiques par des organes que la loi détermine. Mais, poursuit-il, force est de constater qu'il n'existe aucun cas de figure en l'espèce.
Ingérence illégale dans le gestion des finances publiques
"Les informations en notre possession renseignent que les membres du personnel politique des assemblées parlementaires ou provinciales, les membres du gouvernement, ainsi que ceux de leurs cabinets s'immiscent dans la gestion des finances publiques en lieu et place des comptables publics. Des pareils comportements sont constitutifs de faute de gestion et de gestion de fait et exposent leurs auteurs aux poursuites devant la Cour des comptes et éventuellement aux sanctions prévues par la loi ", a-t-il mis en garde.
Le PG Salomon Tudieshe précise en outre qu'en ce qui concerne la gestion de fait, personne, et même les gestionnaires principaux et les chefs d'institutions, n'est exclu de la compétence de la Cour des comptes. En particulier, les chefs d'institutions peuvent être poursuivis comme manipulateurs de longues mains ( auteur moral et intellectuel, a-t-il ajouté.
Abondant dans le même sens, le premier président de la Cour des comptes, Jimmy Munganga, a démontré que les fautes de gestion les plus compromettantes pour les intérêts de la RDC sont commises par les politiques.
Les ordonnateurs politiques ne sont pas pourtant immunisés contre tout contrôle
Plaçant un bémol, il a indiqué que si les ordonnateurs politiques ne sont pas justiciables devant la Cour des comptes, cela ne veut pas pour autant dire qu'ils sont immunisés contre toute sanction pour faute de gestion.
En effet, martèle -t-il, chaque fois que la Cour des comptes, au cours de ses investigations, aura découvert des fautes de gestion dans le chef des ordonnateurs politiques, elle les relèvera dans son rapport et en fera état aux organes délibérants dont ils relèvent, en application de l'article 32, alinéa 2, de sa loi organique.
Il évoque également l'article 49 de la loi organique sur la Cour des comptes qui l'habilite à proposer à l'autorité hiérarchique ou à l'autorité de tutelle de prendre des mesures conservatoires lorsque des graves irrégularités sont constatées.
Pour contourner cet obstacle légal, le premier président promet également de saisir directement le chef de l'État pour obtenir sanction disciplinaire suprême.
ODN