Conférence-débat sur la CPI à l’Université de Kinshasa

Lundi 4 juillet 2016 - 09:15
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L’Afrique a-t-elle a raison de vouloir quitter la CPI ? Non répondent le professeur A. Mbata de l’IDGPA et Patrick Cibuyi de la CPI. (Arguments ci-dessous).

Dans une certaine opinion africaine, la Cour Pénale Internationale, CPI en sigle, est une cour néocolonialiste et impérialiste qui ne jugent que les africains. D’où de nombreuses voix africaines, y compris celles des chefs d’Etats appellent à quitter la CPI. La RDC, pays qui a fourni le plus gros contingent des détenus à la Haye, n’est pas épargnée par cette tendance négative surtout après la condamnation du sénateur Jean-Pierre à 18 ans de réclusion pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en RCA (République centrafricaine). Pour arrêter la diffusion de cette idée absurde que la CPI est néocolonialiste, l’Institut pour la Démocratie, la Gouvernance, la Paix et le Développement en Afrique (IDGPA), que dirige le professeur André MbataMangu, en collaboration avec le Bureau de la CPI-Kinshasa, a organisé le mercredi 29 juin à l’Université de Kinshasa (Unikin) une conférence-débat sur le thème suivant: « L’Afrique a-t-elle raison de quitter de la CPI ? ». Thématique alléchante qui a poussé étudiants, doctorants, professeurs, et chercheurs à prendre d’assaut l’amphithéâtre de la première licence de la faculté de droit.

De prime à bord, le président de l’IDGPA a rappelé  que les pays africains ont joué un rôle déterminant lors de la création de la CPI. Avant d’aller dans le vif du sujet, il a donné la compétence de la CPI. Elle a pour compétence : le crime d’agression, le crime de génocide, le crime contre l’humanité et le crime de guerre. Sur la saisine de la CPI, le professeur a dit que le conseil de sécurité des nations-unies, les Etats- Parties et le Procureur peuvent saisir la CPI pour  crimes graves. Une autre particularité de la CPI sur laquelle le professeur André Mbata a insisté c’est le fait que les immunités ne jouent pas à la CPI. Une autre avancée de la CPI, c’est qu’elle met un point d’honneur à poursuivre les donneurs d’ordre, pas uniquement les exécutants a dit  AndréMbata. Après ce rappel, le professeur André s’est posé la question de savoir : quels rapports l’Afrique entretient avec la CPI ? Pour le président de l’IDGPA, les relations entre la CPI et l’Afrique se sont détériorées après les mandats d’arrêt contre le président soudanais Omar El-Béchir.  Le premier en 2009 et le second en 2010 pour des crimes commis au Darfour. Depuis lors, l’Union africaine a décidé de ne plus coopérer avec la CPI se désole le professeur André Mbata. Ainsi le président soudanais a pu se rendre notamment en RDC (2014) et en RSA (2016) sans vraiment être arrêtés dans les deux pays pourtant signataires du statut de Rome.  En RDC, l’Etat avait évoqué les immunités pour ne pas exécuter les mandats de la CPI. Selon le professeur André Mbata, c’est une violation du statut de Rome car les immunités sont justement rendues inopérantes par le statut de Rome. La RDC a signé le statut de Rome sans réserve a dit le professeur. Elle devait procéder à l’arrestation du président soudanais. La société civile n’avait pas suffisamment fait pression sur le gouvernement pour le mettre devant ses responsabilités constate-t-il. Contrairement à la RDC, le président soudanais l’a échappé belle en RSA grâce à la complicité du président Jacob Zuma qu’il a soustrait à la justice qui avait ordonné son arrestation. Avec une société civile forte et une justice indépendante, Jacob Zuma a été condamné pour avoir empêché l’exécution des mandats de la CPI. Scénario inimaginable en RDC d’après le professeur André Mbata. En effet, dit-il, c’est l’équivalent d’un tribunal de grande instance qui a condamné Zuma, pas la haute cour. Cela démontre le degré d’indépendance de la justice sud-africaine s’est réjoui le constitutionnaliste congolais. Pour cet intellectuel africain, si les africains ne veulent pas envoyer leurs ressortissants à la CPI, ils n’ont qu’à les juger eux-mêmes en vertu du principe de la complémentarité. L’UA a mené une réflexion en ce sens à Malabo en Guinée-Bissauavec le projet de création d’une section de droit international pour juger notamment les génocidaires et les auteurs des changements inconstitutionnels des constitutions. Mais faute de ratification suffisante ce projet n’a pas encore vu le jour a déploré André Mbata. L’UA est un club des présidents autoritaires a déclaré le professeur. Cela justifie son scepticisme. Pour André Mbata, « l’Afrique n’a pas intérêt à quitter la CPI ». Poursuivre un citoyen ordinaire n’est pas un problème en Afrique mais poursuivre un chef d’Etat est impossible a conclu le professeur pour justifier le maintien de l’Afrique à la CPI.  Bien avant le professeur, c’est Patrick Cibuyi de la CPI qui en premier avait pris la parole.

« La CPI n’est pas une cour néocolonialiste » Patrick Cibuyi

D’emblée, il a dit que la CPI n’était pas une cour néocolonialiste. Moins encore qu’elle a été créée pour juger uniquement les africains a-t-il soutenu. Dire que la CPI est une néocolonialiste estune conclusion simpliste selon lui.  Pour étayer son propos l’orateur a opté pour la méthodologie d’un questionnement. Il s’est posé 4 questions auxquelles il a répondu. Voici la première : est-ce que l’évolution de la Justice pénale internationale est liée à l’Afrique ?

A cette question, Patrick Cibuyi est allé chercher la réponse dans l’Histoire. L’idée de la création d’un tribunal pénal international a été évoquée pour la première fois en 1872 par Gustave Mounier, un des fondateurs de la Croix-Rouge, en réaction aux atrocités  commises lors de la guerre franco-russe. Une 2è date avancée par l’expert de la CPI, c’est 1945. Date à laquelle fut créé le tribunal international de Nuremberg pour juger les nazis coupables des crimes graves lors de la 2è guerre mondiale. Plus près de nous, la création en 1993 du tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie pour les atrocités commises en Croatie et en Bosnie. Encore plus proche de nous, Cibuyi a parlé de l’institution 1994 du tribunal pénal international du Rwanda pour réprimer le génocide. Selon Patrick Cibuyi, si on se réfère à ses dates importantes, il est aisé de constater que l’essor de la justice pénale internationale n’est pas liée aux crimes commis en Afrique ou commis par les africains en dehors de leur continent. Les faits historiques postulent en effet que ce sont les atrocités commises en dehors de l’Afrique que l’idée d’unejustice pénale internationale a germée. De par ses origines, il est donc faux d’affirmer que la CPI a été instituée pour poursuivre les africains.La barbarie n’est pas liée à la couleur de la peau d’après l’orateur. Quelle a été la contribution des Etats africains à l’avènement de la CPI ? Est la 2è question qu’a posée Patrick Cibuyi à l’assistance et à lui-même. La contribution des Etats africains a été déterminante a dit l’émissaire de la CPI sur la Colline inspirée (Unikin).

Avant, pendant et après la conférence diplomatique du 15 juin 1998 qui a créé la CPI, les Etats africains ont joué un rôle important a démontré Cibuyi. La preuve, le Sénégal est le 1er pays au monde sur les 124 Etats-Parties à avoir ratifié le 12 février 1999 le traité de Rome. La même année le Ghana l’a fait aussi le 20 décembre, devenant ainsi le 6ème pays à avoir ratifié le traité de Rome.En ce qui la concerne, la RDC fait partie de dix Etats qui ont déposé les instruments de ratification le 11 avril 2002. Ceci  a permis d’atteindre le minimum légal de 60 Etats-Membres pour que le traité de Rome entre en vigueur. La RDC serait même le 60ème Etat selon certains observateurs. Le groupe des Etats africains est le premier groupe aux statuts de Rome d’après Patrick Cibuyi.Il y a donc un lien très fort entre l’Afrique et la CPI a-t-il conclu. Poursuivant son exposé avec sa méthode, Cibuyi a posé la 3ème question : Pourquoi la CPI s’intéresse-t-elleen premier aux Etat africains ?

La grande majorité des cas, c’est-à-dire les décisions d’ouvrir les enquêtes ou de déclencher les poursuites sont le fait des Etats membres eux-mêmes à tout de suite martelé Patrick Cibuyi. C’est le cas notamment de toutes les enquêtes ouvertes en RDC a-t-il précisé. Toutes l’ont été à la diligence du gouvernement de la RDC via le Parquet Général de la République. Mais aussi en Ouganda et en République Centrafricaine. Dans tous ces pays, ce sont les Etats qui saisissent la CPI. Il est donc faux de dire de parler d’un acharnement car ce sont les pays africains qui ont déféré des situations devant la CPI a clairement indiqué Cibuyi. Enfin à la 4ème interrogation qui est celle de savoir s’il existe des garde-fous qui pourraient rassurer les africains quant à l’action de la CPI ? La 1ère garantie c’est le principe de la complémentarité de la CPI. Principe qui veut que la Cour ne peut exercer sa compétence que si l’Etat-partie n’a pas la volonté ou la capacité de mener à bien les enquêtes ou les poursuites. Les juges de la CPI peuvent prononcer l’irrecevabilité si ce principe n’est pas respecté. Ainsi, si un Etat-Partie mène à bien les enquêtes ou les poursuites en cas de crimes graves commis sur son territoire, il rend la CPI est incompétente a développé Cibuyi. L’autre garantie contre l’instrumentalisation de la CPI, c’est son caractère permanent. La CPI a été créée à long terme. L’absence des affaires n’a aucune conséquence sur la CPI. L’indépendance du Procureur de la CPI dans les enquêtes est aussi une garantie contre une éventuelle instrumentalisation. Une fois saisie, le Procureur ne peut ouvrir des enquêtes que sur des bases raisonnables. S’il n’y pas des bases raisonnables, pas d’enquêtes. Aussi,si un Etat-Partie saisit la CPI pour régler des comptes à un adversaire politique par exemple, le Procureur ne peut ouvrir une enquête que s’il y a une base raisonnable.  Il n’y a pas d’automaticité de poursuite une fois saisie la CPI saisie a dit Cibuyi. Même si la saisine émane du Conseil de sécurité a-t-il renchéri. Cependant, s’il n’ouvre pas d’enquête le Conseil peut saisir la chambre préliminaire.  Un Etat-partie ne peut donc pas empêcher le Procureur d’enquêter sur ses proches dans une situation qu’il a déférée devant la CPI. Toujours dans la catégorie des garanties offertes par la CPI, il y a le contrôle judiciaire  rigoureux exercé par les juges. D’abord ceux de la Chambre Préliminaire, ensuite ceux de la Chambre de Premier instance et enfin ceux de la Chambre d’Appel a fait observer Cibuyi.

Le mandat d’arrêt ou la citation à comparaitre est délivré par les juges et non pas le Procureur même si c’est à sa demande a insisté Cibuyi. Ce sont donc lesjuges qui estiment in fine s’il y a des motifs raisonnables de poursuivre un individu ou pas. Même en cas de procès, ce sont les juges qui décident à nouveau. Et même pour que la personne soit reconnue coupable c’est encore et toujours les juges, d’autres juges, qui doivent l’établir au-delà de tout doute raisonnable.  Le contrôle des juges est une garantie contre l’instrumentalisation de la CPI a déclaréCibuyi.

« La CPI n’a pas été créée pour juger les africains. L’obligation de réprimer les crimes graves a pour source la coutume internationale, qui préexiste à la CPI. Si l’Etat n’assume pas cette responsabilité,ou s’il l’assume sans respecter les droits de la défense, ou si il l’assume pour soustraire quelqu’un  dela justice, il y a un espoir contre l’impunité : c’est la CPI » a dit en guise en conclusion PatrickCibuyi. La conférence s’est terminée avec la remise des ouvrages à la faculté de droit. Ouvrages reçus par le vice-doyen de la faculté de droit, le professeur Tasoki. L’IDGPA a aussi remis des livres (constitution notamment) aux étudiants  présents.  Mais auparavant, un débat nourri par les questions des étudiants a démontré l’intérêt du sujet.