Quand le Premier Ministre de la RDC se regarde dans son propre miroir

Mercredi 13 avril 2016 - 05:47
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Réflexion sur le livre de Matata Ponyo Mapon : Pour un Congo émergent (Paris, Editions Privé, 2O16)
Grâce à la bienveillance du professeur Tshiunza Mbiye qui me l’a envoyé par courrier express DHL à Goma où je réside, j’ai reçu avec enthousiasme et grand plaisir de l’intelligence le livre du Premier Ministre Matata Ponyo Mapon : Pour un Congo émergent. Je l’ai lu attentivement, loin du tintamarre politico-médiatique qu’il a suscité dans certains milieux politiciens de notre pays, avec l’espoir de cerner la vision que notre chef du gouvernement a du destin de notre nation et le  projet qu’il veut mettre en œuvre pour conduire la RDCsur les cimes de l’émergence.
Un bilan, une satisfaction
Le livre se présente dans l’ensemble comme celui du bilan du Premier Ministre à la tête du gouvernement. Rien qu’en regardant attentivement la photo de lui-même qui orne la couverture, on sent que Matata Ponyo Mapon est satisfait de son action : souriant, le regard tendre et confiant, la mine réjouie, les bras croisés en signe d’auto-admiration faste, les lunettes d’intellectuel qui se réjouit d’appartenir à une classe supérieure et l’éternelle cravate rouge qui symbolise à ses propres yeux la « rigueur », la « bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques »» et la vigueur au travail, l’homme donne l’impression d’une foi inébranlable en sa propre étoile et à l’étoile de la nation dont il conduit la politique gouvernementale.
Les premières pages du livre sont aussi significatives que la photo de couverture. On découvre que le livre est publié à Paris et pas à Kinshasa, signe que le chef du gouvernement veut affirmer sa stature internationale et l’orgueil de se faire entendre au monde à partir d’une grande capitale occidentale qui distribue les grâces médiatiques aux chercheurs et aux dirigeants d’Afrique. On voit qu’il joue dans la « cour des grands » et qu’on peut avoir confiance en ce qu’il va dire, rien qu’à partir de l’éclat du lieu d’où il lance le message de son livre. Il a voulu ainsi assumer le symbole planétaire de la Ville-Lumière et brillait en cela aux yeux de ses compatriotes que cette ville fascine et enchante.
En plus, le livre est préfacé par Carlos Lopes, Secrétaire exécutif de la commission économique pour l’Afrique, autre symbole de hautes sphères dans lesquelles vole avec élégance le Premier Ministre : une manière de nous faire comprendre à nous Congolais,  que l’ouvrage a bénéficié de la plus grande admiration des autorités économiques et financières de l’Union africaine.
Une fois appréciés tous les symboles que le chef du gouvernement a voulu, à la congolaise, nous donner à interpréter en nous en mettant « plein la vue » pour nous impressionner et conditionner notre approche de son ouvrage qui se présente comme un dialogue avec le journaliste Kibambi Shintwa, on y entre avec un intérêt grandissant. L’intérêt s’amplifie de plus en plus lorsqu’on perçoit la trame de fond de la pensée de l’auteur : une volonté manifeste d’expliquer clairement et sereinement sa méthode de travail à la tête du gouvernement et son approche des problèmes du pays, bilan concret à l’appui.
Première surprise : on se sent capté et captivé par la lucidité et la clairvoyance analytique du Premier Ministre. Il ne se paie pas de mots comme savent le faire les politiciens de métier. Il parle en scientifique qui connaît les problèmes du pays et qui les présente sous forme de « vraies questions » dont il ne cherche pas à éluder ni la virulence ni l’urgence.
« Quelles sont ces « vraies » questions ? lui demande  Kibambi Shintwa. La réponse qu’il donne est directe et forte, sans fioritures ni faux-fuyants :
« Pourquoi 63 o /o de notre population vit-elle avec moins de 1000 francs congolais par jour, alors que notre pays est un vrai scandale sur le plan géologique, énergétique, forestier, halieutique, touristique ? La RD Congo a renoué avec la croissance économique depuis 2002, mais que devons-nous faire pour que la majorité de la population en profite ? Pourquoi le chômage, bien que progressivement en recul, est-il toujours aussi massif ? Le nombre de banques et d’institutions de microfinance s’est accru mais l’économie nationale en profite-elle ? Les PME particulièrement, sont-elles mieux financées ? La jeunesse est l’avenir du pays. Mais faisons-nous tout ce qu’il faut pour qu’elle prenne la relève ? Le nombre d’écoles, surtout privées, s’est sensiblement accru ces dernières années, mais pourquoi le niveau scolaire est-il toujours faible ? La plupart des entreprises publiques, dont certaines ont été le fleuron de l’économie nationale, ont été transformées en sociétés commerciales. Que faire pour qu’elles redeviennent l’épine dorsale de la croissance économique ? »
Ce sont ces questions dans leurs multiples enjeux que le livre de Matata Ponyo Mapon tente d’élucider, d’analyser et de donner à voir dans tous leurs plis et replis tout au long de son ouvrage. Il montre comment il y est confronté en tant que chef du gouvernement et quelles batailles il mène pour les résoudre.
Son approche et sa méthode se fondent sur ce qui est devenu le dogme central de sa politique : stabiliser avant tout le cadre macro-économique du pays et s’atteler, à partir de là, à résoudre les problèmes du Congo secteur par secteur, avec la volonté de faire des réformes irréversibles qui conduiront la nation à l’émergence. Il s’agit, pour le Premier Ministre, de viser la qualité des institutions comme cadre de tout travail pour « améliorer l’efficacité de l’Etat », réformer l’administration et la gestion des finances publiques, s’attaquer à la tâche du lancement des grands travaux en matière d’infrastructures  dans les secteurs vitaux comme les transports, l’agriculture, les mines, et s’occuper sérieusement de la vie des populations qu’il faut changer de fond en comble, surtout dans le panier de la ménagère et les réalités de tous les jours en matière de santé, d’éducation et du bonheur de vivre au Congo.
Dans cette vision de son action, le chef du gouvernement congolais répond aux critiques qu’on lui adresse en permanence : celles de promouvoir une croissance sans développement, de préférer les chiffres aux conditions de vie des populations et de s’enfermer dans la tour d’ivoire d’une macro-économie dont on ne voit pas les résultats dans la vie quotidienne.
A ces critiques et  reproches, sa réponse est  sans ambages : « La rigueur dans la gestion des finances publiques, l’usage rationnel et efficient des fonds publics ainsi que l’application des réformes dans tous les secteurs sont les leviers qui nous permettront de sortir du sous-développement. »
Il ajoute : « La stabilité du cadre macroéconomique est la roche sur laquelle s’élèvent les murs du  développement économique. Jamais la sphère économique et financière n’a aussi bien résisté aux chocs politiques de toute nature ; jamais les perspectives économiques n’ont été aussi prometteuses ; jamais le nombre de banques créées n’a augmenté aussi sensiblement ; jamais depuis l’Indépendance on n’a construit ou réhabilité autant de routes, d’écoles, d’hôpitaux sur fonds publics… »
C’est dire qu’aux yeux du chef du gouvernement, le bilan de son action est largement positif et prometteur, le meilleur depuis 1960. Avec une autosatisfaction visible et une rayonnante confiance en ses capacités de gestionnaire, le Premier Ministre s’admire avec ferveur dans son propre miroir que sont les résultats de son œuvre :
« Les populations les moins aisées sont les plus grandes bénéficiaires de la stabilité du cadre macroéconomique ! En effet, lorsque les prix augmentent ou que la monnaie nationale se déprécie, ce sont ceux qui perçoivent leur revenu en francs congolais, généralement non indexé au coût de la vie, qui en paient le prix le plus fort. Les cordonniers, les enseignants, les fonctionnaires, les mamans maraîchères, les étudiants…

profitent de la stabilité macroéconomique. Une croissance forte, une inflation maîtrisée et la stabilité monétaire, c’est un panier de la ménagère moins cher. J’ajoute que la croissance contribue à créer des emplois. »
Avec une telle vision des réalités économiques et sociales, on ne pourra plus désormais dire que la stabilité du cadre macroéconomique est un concept vide et qu’il masque les insuffisances et les échecs d’une politique de la croissance sans développement.
J’ai demandé à l’économiste principal de Pole Institute à Goma, M. Nene Morisho, l’un des connaisseurs les plus solides des réalités économiques de la RDC et l’un des espoirs les plus sûrs de l’avenir financier de notre pays, de me dire si les explications de la politique économique du Premier Ministre par le Premier Ministre lui-même étaient convaincantes.
Il m’a répondu : « Matata Ponyo conduit la politique économique la plus crédible depuis l’indépendance de notre pays. J’espère qu’il aura le temps de la mener à son achèvement. »
Les vraies sources de l’émergence et du développement
Deuxième surprise du livre de Matata Ponyo Mapon : alors que je m’attendais à être écrasé par le poids de chiffres et de graphiques dans une approche purement quantitative des réalités du pays, j’ai découvert que le vrai intérêt du Premier ministre est de l’ordre qualitatif. Il concerne les valeurs morales et intellectuelles à développer pour conduire le Congo à l’émergence.  C’est dans l’insistance sur ces valeurs que j’ai découvert que le livre n’était pas simplement un livre-bilan. C’est un véritable projet de société qui vise l’émergence du nouvel homme congolais pour une nouvelle société congolaise.
Matata Ponyo se présente lui-même comme le prototype  du nouvel homme congolais. Quand il parle de son parcours scolaire et universitaire, il affirme avec force qu’il n’a bénéficié d’aucun soutien particulier qui l’aurait conduit à devenir ce qu’il est. Il insiste sur les valeurs dont les générations actuelles devraient faire le levier essentiel de leur vie : le travail, l’ambition, la détermination, le respect de soi et des autres. Ce qui lui importe, c’est la solidité de l’imaginaire pour arriver à la réussite, sans aucune concession à la paresse, à la facilité ou à la culture du défaitisme. C’est dans la mesure où il a lui-même cet imaginaire positif et cette force de vouloir réussir dans la vie qu’il a vaincu le pessimisme et le fatalisme, ces maux qui ont élu domicile dans le mental de beaucoup de Congolais aujourd’hui.
L’un des moments les plus saisissants du livre de Matata Ponyo Mapon, ce sont les réponses qu’il donne au journaliste Kibambi Shintwa sur le doctorat honoris causa que l’Université protestante du Congo lui a octroyé, à lui, Premier Ministre de la RDC.
L’homme est fier de cette distinction qu’il interprète comme une reconnaissance de ses pairs pour son parcours intellectuel et pour son action à la tête du gouvernement. Il ne dissimule pas sa satisfaction quand le journaliste lui demande comment il voit l’honneur qu’il a reçu de l’UPC.
« Cette cérémonie et cette distinction sonnent pour moi comme l’aboutissement pour le jeune étudiant en économie que j’étais et le Premier Ministre que je suis devenu.  Recherche de l’excellence, constance, ténacité, sérieux, discipline ont été les qualificatifs prononcés par le Pr Adolphe Ilashi Unshengwo, Président du jury et Docteur en économie appliquée. Par ailleurs, la gestion des finances publiques, la valorisation des ressources humaines et les innovations managériales font partie des trois critères qui ont motivé le jury. C’est une reconnaissance par mes pairs pour tout ce  que j’ai entrepris et fait depuis mes plus jeunes années. C’est un immense honneur pour moi. »
On décèle dans cette réponse la dimension pédagogique et éducative du live de Matata Ponyo Mapon. C’est cette dimension qui m’a le plus touché et m’a le plus interpelé dans ce que le Premier Ministre veut dire au peuple Congo. Elle définit ce qu’il est important de savoir pour la bataille de l’émergence du Congo : le pays deviendra ce que le nouvel homme congolais développera en termes de valeurs morales et intellectuelles ainsi qu’en termes de normes institutionnelles qui donneront à cet homme sa stature d’être un homme de bonne gouvernance et d’efficacité créatrice.
Quand il regarde vers l’avenir et qu’il parle du futur souhaitable pour notre pays d’ici 2050, Matata Ponyo Mapon met toutes ses réussites économiques et financières tout comme sa vision de la stabilité macroéconomique au service des capacités de l’homme congolais à entrer dans l’ordre d’une grande vision éthique : la vision d’une politique fertilisée par les valeurs congolaises de base comme la liberté et la grandeur léguée par Lumumba et par le sens de l’Etat et de l’administration efficace que le chef du gouvernement veut laisser lui-même comme traces au service de nouvelles générations.
Quand il parle du Congo émergent, ce n’est pas du Congo économique qu’il parle seulement  ni principalement ; c’est surtout de l’émergence du nouvel homme congolais qu’il se soucie : un homme qui forge une culture des valeurs morales et de l’intelligence créatrice, avec un nouveau génie congolais capable d’élever notre pays au statut de grande nation africaine et mondiale.
J’ai demandé à mes étudiants de l’Université alternative que j’anime à Pole Institut à Goma si les réflexions du Premier Ministre leur inspiraient confiance en l’avenir du Congo. La réponse qui m’a le plus frappé dans leurs appréciations du livre de Matata Ponyo est celle-ci : « Sa perspective est juste, mais elle est encore partielle parce qu’elle ne s’incarne pas dans des institutions éducatives crédibles. » La suite de la réponse est encore plus intéressante : « Je ne sens pas avec force le rêve de Matata pour le Congo ? »
Horizons
Le problème est dans cette double appréciation. Dans la mesure où l’ouvrage du Premier Ministre est ancré dans les « vraies » questions du Congo et qu’il cherche à trouver des réponses congolaises aux vrais problèmes du Congo, on doit s’en féliciter et louer sa démarche courageuse.
En même temps, on doit se féliciter de l’effort pédagogique déployé  par le Premier Ministre pour expliquer la politique du gouvernement au peuple congolais, du moins au public cultivé qui veut savoir où va le pays et vers quel cap il est conduit. Les explications du Chef gouvernement sont justes de ce point de vue.
Pourtant, quand on lit son live avec les yeux des jeunes qui veulent un nouveau Congo, on sent que le Premier Ministre est encore trop frileux pour affronter l’avenir. Sans doute ne dispose-t-il pas entre ses mains de tous les moyens de sa politique. Sa capacité de pouvoir faire rêver les jeunes s’en trouve fortement diminuée.
On peut aussi se demander si la vraie cible du livre est la jeunesse congolaise. De Paris où il est publié, l’ouvrage ne peut pas devenir un enjeu de discussion au sein des institutions éducatives, scolaires et universitaires. Les étudiants n’auront pas les moyens de se le procurer et d’en faire le limon de leurs propres réflexions, tellement il coûte cher pour leurs maigres ressources, quand ils en ont.
Même dans les hauts lieux du savoir dominés par les chercheurs et les professeurs d’université, je doute qu’un vrai débat ait lieu sur la vision de l’avenir qu’a le Chef du gouvernement. Un tel débat exige un cadre pour les discussions de haut niveau sur le destin de la nation et pour les recherches de grande envergure capables de nourrir la politique de la nation : une Académie des sciences du Congo, par exemple. Malgré les multiples demandes des chercheurs congolais pour que cette Académie voie le jour, le Premier Ministre n’a jamais répondu à ces demandes, comme s’il ne voyait pas tous les enjeux de la culture du savoir et du savoir-faire dans le projet d’émergence du Congo en tant que nation de grands espoirs pour l’Afrique et pour le monde.
On peut s’interroger enfin sur la portée réellement politique du livre de Matata Ponyo Mapon. L’auteur a pris une posture d’aplomb face aux débats de l’heure sur le respect de la constitution, la nécessité de l’alternance démocratique dans notre pays et les perspectives d’un dialogue national éclairé par les valeurs morales et les choix des dirigeants par le peuple sur la base d’élections crédibles. Le sujet n’intéresse-t-il pas le chef du gouvernement au point qu’il ne se donne pas la peine de l’affronter de manière claire. N’est-ce pas un manque de courage politique qui ferait douter de sa capacité à produire un nouveau grand rêve pour le Congo ? La question mérite d’être posé sérieusement en ce moment où le pays se cherche une voie d’avenir.