Traçabilité du coltan en RDC : le BSP balance entre le business et les règles (tribune de Moïse Musangana)

Mardi 2 avril 2019 - 10:27
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Le Gouvernement appelé à mettre au pas tous les systèmes de certification et de traçabilité

Mi-janvier 2019, la Société Minière de Bisunzu (SMB) annonçait avec fracas, après l’avoir signifié en décembre 2018 au Ministre national des Mines et observé un préavis d’un mois, son départ du programme ITSCI pour le BSP (Better Sourcing Program)/Geotracability en raison des coûts élevés et de diligence non raisonnable de son ancien partenaire. Deux mois environ après sa décision, elle déchante : son lot de 200 T de coltan destinés à l’exportation est toujours bloqué à Goma. Son Directeur-Gérant Ben Ngamije Mwangachuchu trouve un bouc émissaire : l’ITSCI (International Tin Supply Chain Initiative/Initiative Internationale sur la Chaîne d’approvisionnement en Etain). Par le biais d’un correspondant de la VOA (Voix de l’Amérique) au Nord-Kivu le 06 mars dernier, il accuse ouvertement son ancien partenaire d’être à la base de la situation en lançant à travers le monde entier des incidents à l’encontre de sa société. Comme quoi, la SMB est rattrapée par ses divers incidents. Par surcroît documentés, voire dans le Rapport (2015) du groupe d’expert des Nations unies sur la RDC, ceux-ci ne sont nullement une vue d’esprit de l’ITSCI. C’est ici que le BSP/Geostracability est donc interpellé. Ce, pour avoir ouvert largement ses bras au nouveau venu dont il semble couvrir la chaîne de production et assurer l’accès sur le marché international en faisant fi des incidents qui l’accablent. C’est à se demander s’il ne balance pas entre le business et les règles. En quête des conditions pour la paix et la stabilité ainsi que des ressources pour gagner le défi du développement dans un pays jusque-là saigné à blanc, le Gouvernement congolais se trouve ainsi dans l’obligation de mettre au pas tous les systèmes de certification et de traçabilité opérationnels, et par-delà les opérateurs miniers, y compris ceux qui évoluent dans l’artisanat minier.

Incidents accablants

Contrairement au Tanganyika dans le Katanga où des initiatives en matière de traçabilité des 3T (Tin - Tantalum – Tungsten) comme «Solution for hope» avaient été prises depuis 2011-2012, le Nord-Kivu était considéré comme une zone de conflits. Ainsi, les minerais extraits artisanalement dans cette partie du pays (Masisi et ailleurs) depuis l’occupation par les mouvements rebelles ne pouvaient avoir accès au marché international (des 3T). Ils échappaient au contrôle de la République et allaient au vu et su de tout le monde dans les pays voisins. C’est avec l’implantation du processus ITSCI pour la traçabilité des flux des matières en mars 2014 que les choses ont commencé à s’améliorer. Non seulement que la production s'est maintenue à un bon niveau avec le démarrage de l'étiquetage, passant de 6 T de coltan par mois pour culminer à une moyenne de 150 T par mois (soit près de 3 000 T de coltan en provenance du Masisi et des environs exportés de 2014 à 2017), mais aussi la contrebande a piqué du nez. Il s’est avéré également que la SMB pratiquait des prix non rémunérateurs. Le Rapport final (2015) des experts de l’ONU sur la République Démocratique du Congo est on ne peut plus explicite à ce sujet. En son point 164, il ressort des témoignages des mineurs, des organisations de la société civile, des autorités provinciales et des hommes d’affaires que «la contrebande avait certes diminué depuis l’instauration du système ITSCI même si elle demeurait encore un problème». Et la SMB n’a pas été moins épinglée à ce sujet.

Dans la nuit du 20 au 21 février 2014, note ledit Rapport en son point 170, des officiers de l’armée congolaise ont arrêté le colonel Hassan Mugabo-Baguma, commandant du 85ème secteur, au poste de contrôle de Mubambiro, près de Sake, après que la police militaire ait repéré dans son véhicule 21 sacs de coltan d’un poids de 1 363 kg. L’infortuné admit à sa première comparution qu’il transportait effectivement des minerais sans pour autant en connaître le propriétaire ! Mais en juin, soit 4 mois plus tard, un négociant du nom de Kabirigi Rukebesha fit son apparition à la succursale de la Banque Centrale du Congo à Goma, lieu d’entreposage, pour réclamer la propriété des minerais en question vendus en son temps à la SMB. Selon le même rapport (point 166), des sources ont indiqué que la SMB vendait le minerai à un prix d’environ 20 % inférieur à ce qu’offraient les acheteurs au Rwanda. Naturellement, la production congolaise ne pouvait qu’être siphonnée dans ce pays voisin. En sus, notent les experts de l’ONU, le retard observé dans le paiement des négociants a poussé certains d’entre eux à vendre illégalement leurs minerais pendant que d’autres, essentiellement membres de la COOPERAMMA, envisageaient de briser carrément le monopole du commerce de minerai que la SMB détenait à Rubaya. En effet, cette dernière était la seule société en activité dans la région jusqu'à ce que d’autres sociétés viennent aussi s’installer dont METACHEM, RASH & RASH et CDMC, la dernière venue en juin 2017, soit 3 ans après l’implantation de l’ITSCI dont elle est pionnière dans le Katanga. Elle a été même accusée de concurrence déloyale par la SMB pour avoir acheté le kilogramme de minerai à 20 % de plus que celui pratiqué par cette dernière. Ce qui contribuait pourtant à l’endiguement de la fraude vers les pays voisins.

La SMB est décriée également pour la sous-évaluation de la teneur déclarée des minerais vendus. En atteste l’analyse du contenu en hemipentoxyde de tantale (Ta2O5) faite par le CEEC (Centre d’Expertise, d’Evaluation et de Certification)/Nord-Kivu pour retracer les 33 T de minerais appartenant à la CDMC et saisis à sa demande sur ordre du Parquet général près la Cour d’Appel de Goma pour vérification. Il s’est avéré que ces minerais supposés volés dans sa concession titraient 34,23 % et 35,66 % Ta2O5 alors que la SMB n’a jamais exporté des minerais qui titrent plus de 30 % en Ta2O5. Comment donc expliquer qu’une entreprise sensée faire une exploitation industrielle puisse exporter des minerais dont la teneur est de loin inférieure à celle de ceux produits artisanalement et traités par des Entités de traitement ? En principe, la SMB, titulaire d’un droit minier d’exploitation, devait développer une usine qui produirait des concentrés de haute teneur. Cependant, la quasi-totalité des minerais exportés lui sont fournis par la COOPERAMMA et sont exportés sans traitement préalable comme le démontre clairement les pourcentages en hemipentoxyde de tantale déclarés à l’export au CEEC. C’est encore là un cas flagrant de fraude sanctionné par le Code minier en ses articles 305, 234 et autres qui mettent à nu les avantages dont a profités indument la SMB, notamment en termes de droit de sortie et du rapatriement des recettes d’exportations.

Contourner les incidents au détour du changement de programme

La liste des incidents de la SMB n’est pas exhaustive. Ils vont de la violation des droits de l’homme à l’irresponsabilité sur le plan social faute d’engagement en faveur des populations, en passant par la destruction de l’environnement et le retard observé dans le paiement des creuseurs et autres négociants. Ce qui lui colle à la peau et entame sérieusement son crédit sur le plan international. Son Directeur-Gérant Ben Ngamije Mwangachuchu ne s’en cache plus. Sur les antennes de la VOA le 06 mars dernier, il n’a pas ménagé l’ITSCI qu’il accuse être à la base de ses déboires en lançant contre son entreprise des incidents à travers le monde entier. Conséquence : son lot de 200 T de minerais destinés à l’exportation est bloqué à Goma depuis janvier. Ce qui cause préjudice et à la SMB et à près de 4 000 creuseurs fulminant de colère et qui ne savent à quel saint se vouer, parce qu’impayés depuis lors. La SMB déclare que ses ennuis ont commencé depuis qu’il a rompu avec ITSCI, partenaire avec lequel il a convolé en justes noces pendant 5 ans. Mais seulement voilà, le minier de Rubaya est incapable d’infirmer que les incidents dont question sont une imagination de son ancien partenaire. Tâche ardue dans la mesure où ceux-ci sont monitorés, documentés et connus dans la profession. D’où le recours à une stratégie d’allégations sans fondement afin de nuire à autrui. L’ITSCI, la CDMC, la SAKIMA, la COOPERAMMA et bien d’autres acteurs miniers en sont victimes. Il a même fait chanter sans succès le TIC (Tantalum-Niobium International Study Center) pour avoir la tête de John Crawly, pionnier de la traçabilité des 3T en RDC. Il appert donc que la décision de la SMB de quitter le programme ITSCI n’a pas été dictée par l’impératif des coûts et de diligence raisonnable, mais plutôt par le fait de vouloir se délester des incidents qui l’accablent au détour du changement de programme. C’est ici que le BSP, qui jouit d’une bonne réputation de par ses vision et mission et qui est compté parmi des bons programmes en RDC aux cotés de l’ITSCI comme l’atteste le rapport Estelle Levin, est interpellé. Il risque de décrédibiliser son système de traçabilité en RDC et au Rwanda en avalisant une chaine d’approvisionnement aux multiples problèmes, incidents et abus des droits de l’homme. Pourquoi ce programme voudrait-il fermer les yeux sur des évidences au grand dam des normes et régulations ? Qu’y aurait-il comme dessous des cartes ? Pour mémoire, le BSP a comme vision : «Un monde où les ressources naturelles sont produites, commercialisées et transformées de manière à générer des impacts positifs durables sur les personnes et la planète». Quant à la mission, elle se résume en ceci : «D'ici 2020, devenir la première plate-forme axée sur la technologie pour des données d'approvisionnement responsables et partenaire de mise en œuvre privilégié pour répondre aux besoins de production et d’approvisionnement responsables dans les chaînes d’approvisionnement en ressources naturelles du monde entier».

L’interpellation du BSP vaut également pour AVX. C’est à se demander comment AVX, une société de grande réputation et comptée parmi les initiateurs du projet «Solution for Hope» au Katanga, peut continuer à faire route avec une partenaire d’un tel acabit? La firme américaine, désormais filiale de la Japonaise Kyocera, n’est-elle pas au courant de tous les incidents dont la SMB, qui est loin d’oublier ses pratiques de rebelle, est l’objet ou fait-elle la sourde oreille ?

Le Gouvernement congolais devant ses responsabilités
Les divers incidents de la SMB ne sont pas inconnus du Gouvernement congolais. C’est pourquoi elle a été appelée par le Ministre national des Mines à s’appliquer, cela en passant rapidement à l’exploitation industrielle. Mais entre la décision de l’Etat et l’acte attendu du minier de Rubaya, il s’écoule du temps préjudiciable pour le pays qui est en train de perdre sur tous les plans. Le Gouvernement congolais se trouve ainsi dans l’obligation de s’assumer en mettant au pas non seulement les opérateurs miniers, y compris ceux qui évoluent dans l’artisanat, mais aussi tous les systèmes de certification et de traçabilité opérationnels en RDC. Ainsi que le recommande le Rapport Estelle Levin, il se doit de comparer les systèmes de certification et de traçabilité en place en RDC (ITSCI et Certified Trading Chains (CTC), BSP et MineralCar) et dans le monde, en vue de proposer un système qui est adaptée aux besoins du pays, en cohérence avec les procédures du mécanisme régional de certification de la CIRGL et répond aux exigences internationales. Bref, l’exécutif congolais doit évoluer vers l’établissement et la publication de sa procédure de validation et approuver une initiative de traçabilité ou un prestataire de services de minerais du conflit qui souhaite piloter et devenir opérationnel en RDC. Il s’ensuit que toute initiative avec laquelle il signe un protocole d’accord doit subir au préalable une vérification de la conformité au Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d'approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque. Ce, par un organisme indépendant compétent et crédible pour s’assurer que, une fois opérationnelle, l'initiative sera jugée adéquate par le marché.