REPENSER ET PANSER LA RÉPUBLIQUE AU-DELÀ DES CHAMAILLERIES POLITICIENNES
La paix au sein de la coalition FCC-CACH n’aura duré que l’espace d’un petit matin. Les chamailleries politiciennes ont fini par dépeindre de façon morose le tableau de vie de ladite coalition gouvernementale jusqu’à son effacement. Les deux camps politiques en coalition ont respectivement eu de quoi se reprocher, chacun rejetant la responsabilité sur l’autre en ce qui concerne la gestion peu reluisante de l’Etat.
Au fait, le Président de la République, Monsieur Félix-Antoine TSHILOMBO, arguant qu’il était bloqué par le FCC dans l’accomplissement de sa « vision », prit des initiatives précipitant la fin de la coalition en question. Plus de 24 mois de ce quinquennat se sont achevés sans que des signaux concrets forts ne soient lancés sur le plan de la gouvernance dont le pays a besoin pour se mettre sur le rail du redressement.
En effet, si l’on peut penser le temps des tempêtes passé à l’issue de la dissolution de la coalition FCC-CACH et de l’instauration de l’Union Sacrée de la Nation, il y a lieu d’estimer que l’heure est désormais au travail. Repenser et panser la République au-delà des chamailleries devraient être le credo des dirigeants au cours de cette seconde partie du quinquennat. Les plaies sont tellement saignantes sur le corps étatique qu’il y a urgence des pansements.
La visée de cette cogitation est d’expliquer comment les chamailleries politiciennes distraient et impactent négativement sur un mandat ainsi que sur le présent et l’avenir de l’Etat congolais. Elle vise aussi à démontrer comment le Gouvernement, lato sensu, peut arriver à produire un travail modeste mais utile pour le reste de cette mandature. Ainsi donc, cette cogitation tourne autour de trois points, hormis l’introduction et la conclusion : les chamailleries politiciennes : quand le pouvoirisme tue le pays (1) ; Congo-Kinshasa : le danger d’une République sans respect des normes (2) ; l’exigence politico-éthique de panser la République (3).
1. Les chamailleries politiciennes : quand le pouvoirisme tue le pays
Au cours du discours du 23 octobre 2020, le Président annonce qu’il va consulter, je cite : « les leaders politiques et sociaux les plus représentatifs afin de recueillir leurs opinions, à l’effet de créer une union sacrée de la Nation autour des objectifs précités ». Après près de trois semaines des consultations, les résultats furent communiqués à la Nation par le discours présidentiel du 06 décembre 2020. Il fut ainsi mis fin définitivement à la coalition FCC-CACH. Le décor sera alors planté pour le début d’un processus qui a abouti à la chute du Bureau MABUNDA, au renversement de la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale et à la déchéance du Gouvernement ILUNKAMBA. Le respect des textes aura été le cadet des soucis des instigateurs de ce coup/forcing politique.
La « République des inconscients » comme l’appelle Modeste MUTINGA (RD Congo : la République des inconscients, 2010), le Congo-Kinshasa sera suspendu à ces chamailleries politiciennes, comme souvent d’ailleurs depuis 1960, pendant que des problèmes sociétaux tels que le chômage, la pauvreté, l’insécurité battent le plein et que les infrastructures routières se détériorent davantage.
Les contradictions-contractions auront révélé des dysfonctionnements notoires dans le chef des institutions. Les chamailleries entre le FCC et le CACH en sont à la base. Le coup de poker tenté par le Président de la République finira par renverser les rapports des forces en sa faveur en contrôlant désormais toutes les institutions de la République. Ce processus aura lancé tout de même un spectacle désolant sur la scène politique congolaise ainsi que sur l’image du pays, car émaillé de plusieurs cas de non-respect des textes, de transhumance politique et de corruption. C’est à ce titre que, dans sa tribune du 08 janvier 2021 intitulée « L’Union sacrée, est-ce le FCC bis ?», MATATA PONYO s’interroge : « Que peut-on faire avec les mêmes acteurs qui ont composé et animé le FCC et ont traversé la frontière pour rejoindre le CACH et former l’Union sacrée ? ». Certains d’entre eux déclarent tout haut, dit-il, avoir été débauchés en contrepartie des sommes d’argent alléchantes. Ces acteurs politiques, poursuit-il, changent comme des caméléons : ils ont été lumumbistes, mobutistes, tshisekedistes (le père), kabilistes (le père et le fils), et aujourd’hui redevenus tshisekedistes (le fils).
Les inepties politiciennes voulues et tolérées au cours de ces derniers mois ont suffisamment démontré que le pouvoirisme, la transhumance politique et la corruption sont les règles de jeu de la plupart des politiciens congolais. Pourtant, le pouvoir doit être voulu et exercé pour un but, celui de servir l’Etat. Le pragmatisme à l’aune des pratiques politiciennes ne saurait pas justifier toutes les médiocrités politiques actuelles. Celles-ci ne permettent pas au pays de s’inscrire dans un élan modernisateur et transformateur depuis 1960. Elles renforcent plutôt chaque année qui passe le désastre, quel que soit le gouvernement en place.
2. Congo-Kinshasa : le danger d’une « République » sans respect des normes
Lorsque, dans un gouvernement populaire, les lois ont cessé d’être exécutées, comme cela ne peut venir que de la corruption de la République, l’Etat est déjà perdu (MONTESQUIEU, De l’Esprit des Lois, p.89). Dans sa tribune « Le Professeur Boshab et le Régime Primo-ministériel : Nuances Politologiques » du 25 novembre 2020, KABASU BABU observe : « les violations répétées de la Constitution ne se réduisent pas simplement aux occurrences de non-conformité au texte fondamental. Il s’agit là d’une problématique polygonale du système touchant aux idéologies mimétiques et inopérantes, à la résurgence de la mentalité du pouvoir ancestral total, à la culture politique paroissiale ».
En effet, par tactiques politiciennes de jouir des dividendes du pouvoir, quelques dispositions constitutionnelles et légales voire réglementaires ont été sérieusement violées au cours des mois qui viennent de s’achever. La logique de la séparation des pouvoirs entre les institutions de la République a été nettement foulée aux pieds, comme il en a été le cas à certains égards lors des années du règne précédent. Les quelques cas suivants en sont éclairants : la nomination des juges de la Cour constitutionnelle contre les prescrits constitutionnels et de la loi organique instituant ladite Cour, le non-respect des dispositions du Règlement intérieur en rapport avec la convocation de la plénière sur l’examen et le vote des pétitions portant déchéance des membres du Bureau de l’Assemblée nationale, l’examen et le vote de la motion de censure contre le Gouvernement ILUNKAMBA, la requalification de la majorité en cours de législature, le Bureau d’âge agissant au-delà de ses prérogatives, l’élection des membres du Bureau de l’Assemblée nationale à candidats uniques, la convocation d’une plénière au Sénat visant l’examen et le vote des pétitions contre les membres du Bureau en dehors de toute session parlementaire, la suspension du Conseil des ministres par le Président de la République, etc.
Au fait, dans notre pays, fait remarquer Delly SESANGA, on soutient un Etat de droit, un régime parlementaire, un Etat décentralisé voire fédéral lorsqu’on est dans l’opposition. Dès que l’on accède au pouvoir, on soutient un Etat légal contre l’Etat de droit, et on devient partisan d’un régime présidentiel, on découvre la nécessité d’un Etat centralisé voire simplement déconcentré et on exige les pouvoirs étendus et quasi illimités pour le Président de la République. Et, on motive toute cette mutation par l’urgence de la reconstruction. (La Voie du Changement : un Pari de la Raison pour la RDC, p.34). L’Etat de droit, la bonne gouvernance voire la démocratie sont illusoires sans le respect des normes qui fondent un Etat. La République, cette chose commune, mérite d’être gérée suivant des normes ou des principes. Elle mérite d’être dépersonnalisée. Gérer une République en dehors des textes qui la fondent est un véritable danger qui ne peut que pérenniser le désordre. Il faut urgemment repenser et panser les plaies de la République pour espérer stopper la déliquescence de l’Etat.
3. L’exigence politico-éthique urgente de panser la République
Les mécanismes novateurs pour re-imaginer et remodeler la République dont les plaies du sous-développement sont très saignantes, après deux ans des chamailleries, sont tout aussi nécessaires qu’urgents. Dans le contexte d’une économie en panne suite aussi aux effets du Covid-19, l’heure doit être à l’imagination des moyens efficaces pour la mobilisation des recettes budgétaires accrues et de leur affectation judicieuse en vue de rencontrer les besoins de la société. La nouvelle équipe gouvernementale devra penser aux bénéfices sociaux des politiques publiques à entreprendre. Elle devra aussi entreprendre des actions qui balisent le chemin pour la gouvernance du pays pour les prochaines années. L’équipe gouvernementale devra être totalement vouée à la tâche et décidée de lancer des signaux forts. Quelles sont les possibilités de stimuler la croissance économique avec les moyens d’action publique ? Comment propulser de façon efficace l’industrie dans le sens de la diversification créatrice des richesses nouvelles ? Comment préparer sérieusement les scrutins de 2023 ? Telles sont entre autres questions auxquelles la prochaine équipe gouvernementale doit répondre. Elle doit penser l’Etat au concret comme le dirait PADIOLEAU ; penser les conditions pratiques de fonctionnement normal de l’Etat congolais.
Au regard de la temporalité politique (moins de 3 ans avant la fin du mandat), il serait illusoire de croire au miracle, les politiques publiques se déroulant selon des temporalités relativement longues (D. KUBLER et J. MAILLARD, Analyser les Politiques Publiques, p.16). Cependant, l’Etat doit être amené à faire mieux avec les moyens qu’il a tout en se projetant dans l’avenir, en balisant le chemin pour que se conçoivent et se matérialisent des politiques publiques ambitieuses et à la taille des potentialités dont regorge le pays. Parmi le lot de solutions potentiellement mobilisables, en plus de ce qui vient d’être dit ci-haut, on peut envisager les suivantes :
• La gestion rationnelle des recettes budgétaires : il faut que les recettes mobilisées soient gérées rationnellement, en réduisant au passage la part affectée aux rémunérations des politiciens et en affectant plus de ressources aux besoins sociaux et aux investissements infrastructurels. Le contrôle dans le domaine des finances de l’Etat devra ainsi s’effectuer sans complaisance. Le budget, quoique petit comparativement aux besoins de l’Etat, doit servir aux fins pour lesquelles il a été voté ;
• La redynamisation et la modernisation de l’appareil administratif : il faut miser sur la redynamisation de l’administration pour réaliser les projets gouvernementaux ou les politiques publiques. Il est illusoire de prétendre avoir un Etat fonctionnel sans une administration efficacement opérationnelle. Il faut donc réformer et moderniser cette cheville ouvrière de l’Etat en vue de la rendre compétitive, efficace et capable de soutenir le développement du pays. La réforme entreprise depuis quelques années sous le label CMRAP-PRAP doit être soigneusement finalisée ;
• Le travail et non la distraction : le travail gouvernemental doit être pensé de manière à impacter la vie des citoyens. Il faut plus de génie, plus d’initiative, d’ingéniorat politique dans la conception et la matérialisation des politiques publiques ;
• Le soutien à l’entrepreneuriat : Dans l’hypothèse actuellement impossible de créer de l’emploi pour un grand nombre de Congolais, il est impérieux que l’Etat apporte un soutien au secteur privé ou à l’entrepreneuriat. Ceci permettra à quelques Congolais d’avoir un capital financier à fructifier pour vivre de ses bénéfices ;
• L’investissement dans l’agriculture : Avec le potentiel agricole du pays, il est urgent d’investir dans l’agriculture pour avoir d’autres pistes crédibles de financement des besoins de l’Etat.
Conclusion
Œuvrer pour la manifestation d’un Etat impartial, rationnel et agissant.
Le pouvoir monocratique et impérial est nuisible. Barack OBAMA estime qu’il est hasardeux de s’en remettre à un seul et unique leader pour faire advenir un changement (Une Terre Promise, p.34).
Il est temps d’œuvrer pour l’instauration d’une République rationaliste, opérant avec un Etat impartial et un leadership performant. Cet Etat permettra de mettre fin à la déviance régulièrement constatée dans l’application des textes juridiques et dans le déploiement de l’action gouvernementale. La faiblesse ou la déliquescence actuelle de l’Etat avec tous ses corollaires (corruption, détournement, non-respect des textes, chômage, pauvreté, etc.) exige un leadership hautement sacrificiel et transformationnel pour renverser le cours des événements. Dans sa nature actuelle, l’Etat congolais - avec la carence de la culture institutionnelle, des régimes peu légitimes, autoritaires et peu redistributeurs, pour employer les termes chers à Bertrand BADIE (Quand le Sud Réinvente le Monde, p.92) -, ne peut s’inscrire dans un élan transformateur ou développemental si les politiciens persévèrent dans leurs chamailleries pour le contrôle du pouvoir et uniquement pour la jouissance des privilèges qu’il procure. Comme je l’écrivais dans mon poème « Congo Grand », l’égoïsme et le pouvoirisme sont à rayer de la société.
A cet effet, pour essayer de sauver ce qui peut l’être pour le reste de ce mandat après tout le temps perdu, il est impérieux de redéfinir rationnellement et de manière réaliste les objectifs du programme d’action gouvernementale avec des reformes intelligentes, en vue d’amener l’Etat à poser quelques actes, fussent-ils modestes, en faveur du redressement du pays tout en balisant le chemin des décisions et actions (processuelles) futures de grande envergure. L’action réformatrice gouvernementale sera jugée par son inscription dans la modernisation ou dans le développement du pays, pas au nombre de querelles intestines politiciennes. Seuls les résultats heureux, pour parler comme MACHIAVEL, pourront excuser les chamailleries politiciennes intervenues au cours de ce mandat issu d’un processus électoral controversé qui a occasionné une alternance au sommet de l’Etat.
Alain de Georges SHUKURANI MUGENGERE est politiste, Conseiller au Bureau d’études de l’Assemblée provinciale du Sud-Kivu et Cofondateur de l’Asbl Jeunes pour l’avenir de la Nation.