Insécurité à Beni : Adf-Nalu sur les traces de Boko Haram ?

Lundi 15 décembre 2014 - 09:40

Toutefois, avec les ingrédients de l’histoire tumultueuse de la RDC depuis 1960, l’enjeu que représente Beni mérite d’être perçu différemment...

Près de 250 morts en un mois ou presque, et cela à raison d’une trentaine un jour, d’une vingtaine un autre jour, d’une quarantaine encore un autre jour, quand ce n’est pas une dizaine ou moins d’une dizaine : le territoire de Beni est en train de subir une épreuve que jamais les autres territoires de l’Est n’ont jusque-là connue, et cela dans un laps de temps si court. On se croirait dans un serial killer à l’irakienne ou à l’afghane pour l’Asie, à la somalienne, à la kenyane avec les Shebab et surtout à la nigériane avec Boko Haram pour l’Afrique. Les ingrédients politico-religieux sont les mêmes avec l’"islamisation" des tueries en masses pour imposer la Charia. Si les Américains, avec le soutien avéré de l’Otan, peinent à neutraliser en Asie ces "islamistes", si les forces des Nations-Unies et de l’Union africaine éprouvent les mêmes difficultés notamment en Somalie, si les armées gouvernementales nigérianes et kenyane ont du mal à y faire face, il n’y a pas de raison, mais alors aucune, de faire exception quand il s’agit des Fardc et de la Monusco. Bien au contraire, il faut exhorter la Mission onusienne et l’armée gouvernementale à plus d’effort. Il n’y a pas là un problème politique, et surtout pas un enjeu électoraliste...

La dépêche est de l’Afp. Elle porte ce titre révélateur et interpellateur : " Est de la RDC : l’ONU prévient que le combat contre les rebelles ougandais sera long". L’avertissement, signale-t-elle, émane des Nations Unies.
Représentant spécial du Secrétaire général de l’Onu et chef de la Monusco, Martin Kobler estime effectivement qu’"On ne peut pas gagner ce combat rapidement (...) Ce sont des terroristes, ce sont des criminels, c’est un combat asymétrique, qui est très, très difficile à gérer". Il le déclare au cours de la conférence de presse hebdomadaire de son Organisation, le mercredi 10 décembre 2014.
Aux forces politiques et sociales qui accusent les Fardc et la Monusco de passivité ou d’incompétence, Martin Kobler trouve le tendon d’Achille dans l’insuffisance de coopération. " Il faut rétablir (...) la confiance entre la Monusco, les FARDC et la population", plaide-t-il. Car, relèvent plusieurs experts, rapporte l’Afp, " les ADF n’ont pas toujours été hostiles à la population locale, avec laquelle ils ont noué au fil des années de nombreux liens commerciaux ou familiaux".
Porte-parole militaire de la Monusco, le lieutenant-colonel Félix-Prosper Basse, se veut rassurant. "Nous sommes dans une dynamique de recherche des meilleures stratégies à mettre en place pour contenir ces massacres", déclare-t-il. Il reconnaît au passage que la mission onusienne a " un problème de renseignement" à corriger avec le soutien de la population.
Président du Caucus des députés du Nord-Kivu, Juma Balikwisha, reconnaît, à l’instar du gouvernement, et donc des Fardc, que les tueries du territoire de Beni rentrent dans la logique de la guérilla. "C’est inquiétant, parce que pour gagner une guérilla, ou le terrorisme, il faut une complicité totale avec la population. Moi je pensais que c’est une guerre qu’on veut nous imposer. Je demande au gouvernement de se pencher aussi sur cette piste au lieu de se concentrer seulement sur la piste ADF", précise-t-il.
En octobre dernier, en séjour à Beni-ville, le Président Joseph Kabila a exhorté la population locale à la solidarité et à la vigilance. "Nous ne devons pas avoir peur, nous devons rester soudés pour bouter hors du territoire congolais les ADF", leur dit-il, non sans rappeler son appel lancé en 2013 particulièrement à la jeunesse de ce territoire pour s’engager dans l’armée. Il a révèlé que l’on s’attendait au moins à 4.000 recrues, mais seuls 70 candidats se sont fait enregistrer.
UNE AUTRE APPROCHE
Au fait, pour saisir cet enjeu sécuritaire, il est intéressant de consulter le rapport n°93 d’International Crisis Group (Icg) publié le 19 décembre 2012. Voici exactement deux ans. Intitulé "L’Est du Congo : la rébellion perdue des ADF-Nalu", ce document est une grosse mine d’informations.
Du préambule, on peut retenir ces extraits : " Grâce à leur dirigeant, Jamil Mukulu, un chrétien converti à l’islam, les ADF-Nalu ont cessé d’être un problème congolo-ougandais pour prendre une dimension régionale en tant qu’élément de la nébuleuse islamiste radicale en Afrique de l’Est. Toutefois, d’une part, il subsiste de nombreuses zones d’ombre sur les liens entre les ADF-Nalu et les organisations islamistes radicales de la région et, d’autre part, l’islamisme de ce groupe armé parait superficiel".
Et dans la genèse faite du mouvement, le rapport relève qu’" En septembre 1995, à Beni dans la province congolaise du Nord Kivu, Yusuf Kabanda, un des dirigeants de l’opposition musulmane ougandaise armée, scelle avec le commandant Ali Ngaimoko de l’Armée nationale pour la libération de l’Ouganda (Nalu) une alliance dénommée les Forces démocratiques alliées-Armée nationale pour la libération de l’Ouganda (ADF-Nalu). Conclue hors de l’Ouganda avec l’aide des services secrets soudanais et congolais, cette alliance regroupe deux mouvements défaits par l’armée régulière dénommée Force populaire de défense de l’Ouganda (UPDF). Sans liens idéologiques ni opérationnels préalables, ces deux mouvements ont en commun d’être opposés au régime ougandais, de se trouver au même moment sur le sol congolais et d’être proches, chacun de leur côté, d’ennemis de Kampala : les régimes soudanais d’al-Tourabi et congolais de Mobutu".
Recommandant alors à la Cirgl, aux Nations-Unies, à la RDC et l’Ouganda de ne " pas envisager la lutte contre ce groupe comme une campagne militaire", Icg préconise une autre approche qui comprendrait, notamment :
- L’élaboration d’une stratégie fondée sur le renseignement qui vise à neutraliser les réseaux économiques et logistiques transfrontaliers des ADF-Nalu. (...) ;
- L’inscription des responsables des réseaux de soutien des ADF-Nalu, aussi bien en RDC qu’à l’extérieur, sur la liste des personnes qui soutiennent les groupes armés et font l’objet de sanctions onusiennes (...) ;
- Des rotations régulières des officiers congolais et ougandais déployés dans cette région ;
- Un programme de démobilisation et de réinsertion pour les combattants congolais et ougandais prêts à se rendre, après avoir mené des enquêtes sur les éventuels crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par ces derniers ; (...) et
- L’autorisation immédiate pour les villageois des zones d’Erengeti et Oïcha de reprendre les travaux agricoles, suspendus par les autorités militaires".

DISTRACTION : MEILLEUR SPORT NATIONAL
Il est évident qu’au cours de ces deux dernières années, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. Ce qui paraissait hier comme un islamisme superficiel a cessé de l’être au regard de la radicalisation du mouvement islamiste en Asie (Afghanistan, Pakistan, Irak, Syrie, Yemen, Palestine...) et en Afrique (notamment avec le printemps arabe, la Somalie, l’Erythrée, le Soudan, le Kenya, la Rca, la bande sahélienne et le Nigeria).
Les Grands-Lacs, précisément la zone à forte présence islamique comme l’Ouganda et l’Est de la RDC ne peuvent pas échapper au phénomène.
D’ailleurs, le premier à tirer la sonnette d’alarme est le Président Barak Obama lorsqu’il cite en 2012 l’expansion de l’islamisme radical et la pénétration chinoise comme les deux "menaces" majeures pour l’Afrique. Pour rappel, en 2001, Washington a ajouté les Adf-Nalu "sur la liste des organisations terroristes".
Déjà, dans l’Accord de Lusaka signé en 1999, l’Adf et le Nalu sont cités parmi les groupes armés dont la force onusienne, à déployer en RDC, devait se charger de la neutralisation, au même titre que ex-Far et les milices Interahamwe pour le Rwanda, le Lra, l’Unrf II et Wndf pour l’Ouganda, le Funa et le Fdd pour le Burundi ainsi que l’Unita pour l’Angola.
L’histoire va devoir retenir pour la postérité que la Monusco (hier Monuc) en est à sa 15ème année de présence en terre congolaise, mais il a fallu attendre la 14ème (2013) pour la voir engager les vraies opérations militaires contre le M.23 pendant que l’essentiel des groupes armés étrangers cités n’ont jamais été sérieusement inquiétés. Plusieurs chroniques ont été consacrées à cet état des choses.
Au moment où s’observe, au travers de l’Etat islamique (EI), une sorte de métastase dans les pays et les régions d’obédience islamique, le comble de naïveté serait de penser ou de croire que la région des Grands-Lacs ne serait pas atteinte par la dissémination des "cellules cancéreuses". Au contraire. Tous les ingrédients s’y retrouvent.
A preuve, le modus operandi de Boko Haram au Nigeria, des Shebabs en Somalie et au Kenya. Il est le même qu’en Afghanistan, au Pakistan, en Irak etc., mais aussi en Libye, voire en Egypte : tuer le plus possible d’innocents, procéder à des prises d’otages, libérer les otages au moyen des rançons...
L’objectif avoué étant alors d’imposer la Charia, la politisation du débat n’est que pure distraction.
En RDC, l’empirement de la situation est favorisé justement par la distraction, "élevée" en sport national. Il suffit d’analyser les déclarations des forces politiques et sociales et les approches des analystes et des chroniqueurs. Tous, ou presque, ont du mal à réaliser qu’avec Beni, c’est le pays même qui risque de voler en éclats, cela après des échecs enregistrés en Province Orientale, au Sud-Kivu, au Katanga et, autrefois, au Katanga et au Sud-Kasaï. Comme pour dire qu’en RDC, le cas Beni doit être perçu et traité différemment. Omer NSONGO